La vraie nature du Christ
Le docétisme cathare ou la question de la nature du Christ
Le docétisme, du Grec signifiant sembler/paraître, est une expression judéo-chrétienne qui stigmatise l’idée que le Christ ne fut pas un homme, mais seulement une apparence d’homme.
La controverse sur la nature du Christ est aussi vieille que le christianisme lui-même. Celle-ci sera définitivement tranchée par l’Église affiliée à l’Empire romain au concile de Chalcédoine en 451 qui édicte que le Christ a rassemblé en lui deux natures, celle de l’homme et celle de Dieu. Énoncé qui a choqué les vieilles Églises judéo-chrétiennes orientales (Arménienne, Syriaque et Copte) et qui l’ont refusé au profit d’un Christ pleinement Dieu (monophysisme).
À première vue le « docétisme » semble bien farfelu, a contrario du simple bon sens de voir en ce Christ des évangiles, un homme, un certain Jésus qui aurait vécu, enseigné et serait mort crucifié en Palestine… Pourtant le docétisme dit quelque chose d’extrêmement pertinent, de bien plus cohérent que les différentes dogmatiques judéo-chrétiennes, qui veulent nous faire accroire d’une manière ou d’une autre que le Christ fut une réalité historique et donc par là de rendre crédible l’ensemble d’une religion christolâtre.
Pour trouver des traces biographiques de Jésus, les historiens et exégètes n’ont pas d’autres choix que d’avoir recours aux écrits chrétiens. Il s’agit soit des textes collationnés dans le NT ou des textes apocryphes qui n’ont pas été retenus dans le canon, ou bien encore des premiers écrits de dignitaires d’un Église qui passera à la postérité. Donc essentiellement des textes relativement douteux sur un plan historique ou biographique car la plupart sont plus ou moins tardifs et relèvent d’une prédication religieuse. Sans parler que ces textes posent à bien des endroits d’insolubles problèmes d’authenticité à cause des compilations, interpolations, altérations et autres triturations dont ces textes furent l’objet avant d’être définitivement fixés, ni de la partialité de l’origine des textes qui nous sont parvenus.
En dehors du cercle chrétien, nous disposons d’un seul témoignage, à peu près contemporain, celui de l’historien Flavius Josèphe. Mais là encore la source est litigieuse. Flavius Josèphe est juif et apologète du judaïsme auprès du monde romain. Il rédige ses livres sur l’histoire des juifs à un moment où les tensions entre chrétiens et juifs sont extrêmement vives. Mais le court passage qui fait mention de Jésus, comme christ des chrétiens, est paradoxalement si élogieux et recoupe si bien les propos des évangiles, que le soupçon d’une interpolation postérieure ne peut être écarté.
Bref, l’ensemble des textes donnent des informations si peu fiables, diverses et contradictoires, qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Par exemple dans son traité « contre les hérésies» Irénée de Lyon qui, dit-il, rapporte ce que lui avait raconté un certain Polycarpe qui aurait connu l’apôtre Jean, explique que Jésus avait atteint la cinquantaine, alors que précisément la tradition apostolique fixe à 33 ans l’année de sa crucifixion. Ce que laisse également entendre les évangiles synoptiques.
Le travers induit par la volonté d’attribuer à tout prix une dimension historique et biographique aux évangiles et par delà au Christ, fait l’impasse sur le cœur de la prédication chrétienne et à commencer par la plus authentique de toutes, celle de Paul. En effet les épîtres de Paul écrites sur le vif, sont à ce jour les plus anciens documents chrétiens connus. Les évangiles n’apparaitront qu’après. Or Paul ne donne quasiment pas de références biographiques de Jésus et fait relativement peu référence au Christ. Pire même, tout un tas de passages traduisent en réalité une vision spirituelle du Christ.
D’ailleurs il témoigne qu’il n’a pas connu le Christ de visu, mais par révélation, ce qui est parfaitement imagé dans le récit de sa conversion au chapitre 9 des Actes des apôtres. Les évangiles quant à eux sont christocentriques mais ils sont bien plus que des hagiographies sur un Jésus mystifié au fil du temps, comme on serait en droit de le penser ; en nous présentant Jésus c’est le Christ qu’ils nous donnent à voir en réalité. Ici nous touchons le nœud de la problématique, qu’est-ce que le Christ ? Faut-il y voir tous le tralala des inventions dogmatiques judéo-chrétiennes ou bien une toute autre réalité qui n’appartient ni à l’histoire, ni à la physique, mais à une représentation idéelle d’une réalité spirituelle, comme l’exprimaient à leur manière les chrétiens dit docétes?
L’évangile de Jean et son prologue pose d’emblée ce qu’est ce Jésus, ce Christ qu’il donne à voir, c’est le Logos. Le Logos avait une aura dans le monde antique que le contemporain n’est plus à même de saisir. Les traductions le traduisent fadement par parole ou verbe, alors qu’il tout autant la raison dont la parole n’est que l’expression. Et même notre mot raison est affadi par l’écho que cela peut renvoyer en français. Le logos chez les stoïciens était le souffle (psukê) de Dieu, l’âme (psukê) animatrice du monde et des hommes. Chez les platoniciens, le Logos est une émanation du noos (intellect/esprit) qui est apparenté au divin. Par ailleurs il est aussi la sagesse (sophia).
Ce Jésus, ce Christ qu’ils donnent à voir c’est tout cela. Il est la représentation visible de ces réalités invisibles. Il est comme le dit Paul : « l’image du Dieu invisible » (Colossiens 1:15).
Le Christ est aux évangiles ce que le corbeau est dans une fable de La Fontaine : une illustration d’une réalité raisonnable. On pourrait faire le même rapprochement avec le Petit Prince de Saint Exupéry. C’est une image, un mythe au sens fort, platonicien du terme, qui comme le dit si admirablement Wunenburger : « Le Logos platonicien ne s’éveille qu’à l’ombre d’un muthos (NDLR : Mythe en Grec), d’une parole primordiale qui fait entendre la voix du monde, d’un récit de l’Être qui porte les semences de la Vérité [..] L’image, chez Platon, ne peut être réduite à un simulacre trompeur ; lorsqu’elle est de filiation symbolique, elle a pour vocation aussi d’ouvrir le chemin au Logos » [1].
Avec le Christ, Paul et les évangélistes veulent nous ouvrir le chemin à l’éveil de l’Esprit.
[1] Jean-Jacques Wunenburger, « L’Imaginaire » aux Presses Universitaires de France, 2003, collection « Que sais-je ?» .
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