Peut-on être cathare au XXIème siècle? Rencontre de Roquefixade 2009
Il y a quelques années, lors d’une rencontre entre amis, nous avions longuement débattu d’un renouveau de la philosophie cathare à l’aube du troisième millénaire.
Participaient à cette vaste discussion Yves Maris (1), philosophe cathare, et Philippe Roy (2), écrivain et historien du catharisme.
Pour ce dernier, le catharisme était mort avec le dernier Parfait, puisque la filiation apostolique s’était interrompue ; le Consolament, qui se transmettait de Bonshommes en Bonshommes, ne pouvait plus faire office de sacrement en l’absence d’une personne qualifiée pour l’administrer.
Yves Maris, quant à lui, tout en reconnaissant la rupture de cette chaîne apostolique, n’en concluait pas pour autant que le catharisme avait disparu avec le dernier Cathare. Puisque l’Esprit souffle où il veut, l’Esprit fait le Parfait et non l’inverse. Les idées cathares ont donc pu se propager dans les cœurs au fil des siècles même en l’absence d’hérétiques revêtus.
De fait, toute la question est là :
Les historiens considèrent que le catharisme ne peut plus exister sans Parfait, c'est-à-dire sans représentant « autorisé » de « l’église cathare ». Les « idées cathares d’aujourd’hui » ne peuvent que donner naissance à des courants dissidents du catharisme original, voire à des néo-catharismes.
Les philosophes du catharisme, eux, ne se placent pas sur le plan de l’institution cathare, mais sur le plan des idées que le catharisme véhiculait au moyen âge. Les idées survivent aux persécutions et aux holocaustes, et le catharisme - qui n’est en réalité que le christianisme des origines - peut donc toujours survivre à notre époque.
Il s’agit tout d’abord de bien s’entendre sur les mots eux-mêmes ; le catharisme est un courant de pensée chrétienne, comme il en exista beaucoup depuis l’avènement du Christ. Il est fondamentalement non dogmatique, son seul « credo » est l’Amour Universel contenu dans les paroles du Christ « Aime ton prochain comme toi-même ». Cela implique la non violence, le respect de toute vie, le refus de tout jugement et une sainte horreur du mensonge.
Cette définition peut tout à fait convenir à tout chrétien qui se respecte ! Elle devrait aussi être appliquée par tous les êtres humains sans distinction !
Alors, pourquoi tant de haine, tant d’acharnement à l’encontre de ces hérétiques ? Parce que l’église catholique, appuyée par le pouvoir impérial à partir de Constantin, s’est employée à détruire systématiquement tout ce qui ne rentrait pas dans ses dogmes, édictés par des hommes et non sur les paroles de l’Evangile. Car c’est bien à cause du dogme qu’elle a pu commettre ses exactions, et non en s’appuyant sur le message christique.
La différence essentielle entre le catharisme et l’église romaine après l’avènement de Constantin réside dans la notion de dualisme. Cette notion a fait couler beaucoup d’encre et aussi beaucoup de sang parce qu’elle met l'Église en porte-à-faux quant à la réalité du Mal sur la terre.
Le catharisme considère que Dieu est étranger au Mal, que « le Royaume de Dieu » n’est pas de ce monde, et qu’il y a eu deux créations : l’une divine a créé l’homme divin, le parfait, le christ, l’Esprit ; l’autre imparfaite, et impliquée dans la matière façonnée par un démiurge.
L’homme, à la fois ange et démon par sa double formation, ne pourra retourner au Divin que par un détachement de sa condition humaine. Le Christ est venu sur terre pour transmettre ce message et montrer, par l’exemple, comment on retourne au Père.
Le rachat de l’humanité par la Passion du Christ est une notion catholique, de même que la résurrection de la chair. Un cathare ne peut se prosterner devant un crucifix, instrument de torture et de mort, car le Christ n’a pris forme humaine qu’en apparence.
Dans ces conditions il est difficile de rallier au catharisme tous les chrétiens qui, en toute bonne foi, n’ont pas cette vision dualiste du Monde. Et pourtant, les premiers chrétiens étaient dualistes. Cela transpire dans les Écritures, même si ces dernières ont subi certains arrangements, falsifications, élisions et autres malversations. Mais on ne se défait pas facilement de mensonges assénés pendant 18 siècles comme autant de vérités !
Le catharisme est pourtant plus approprié pour expliquer la cosmogonie de l’Univers.
Le Mal en soi n’existe pas, il n’est que la conséquence obligatoire de la Vie. Or la Vie, encore mal étudiée et mal comprise par les biologistes, n’est que la conséquence obligatoire de la Matière. Le mot « conséquence » est sans doute mal choisi car il semble impliquer un lien de causalité et de succession dans le temps. Nous ne pouvons nous empêcher d’avoir une vision anthropomorphique de notre environnement, si grand soit-il. Cependant, tout est une question d’échelle, la vie existant à l’échelle microscopique comme à l’échelle macroscopique. La matière vit dès son premier atome.
Ce constat induit donc deux possibilités :
La théorie matérialiste et athée pense que la vie se renouvelle sur les cadavres des vies posthumes. Tout être vivant meurt, ou selon la phrase célèbre de Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », et ce depuis que le monde est monde. Mais ce qui meurt ne peut revivre, il n’y a rien après la mort, surtout pas Dieu.
La théorie spirituelle place un être supérieur créateur du Monde et de toutes choses.
Cette théorie, admise comme vérité par les déistes, a le mérite d’apporter une réponse à la place de l’homme dans l’Univers, homme pris au sens d’être doué de pensée et de raison. Un monde matérialiste n’a que faire d’un homme qui remet en cause les lois de la Nature.
En revanche, puisque l’homme existe, c’est bien pour témoigner de l’existence d’un Être supérieur à lui. Mais l’homme est aussi la seule créature douée de conscience, c'est à dire de capacité à discerner le Bien du Mal. Encore que discerner le Bien ne veut pas dire le faire ! Cette réflexion nous ramène au catharisme qui prône le détachement de ce monde imparfait, alors que l’Église de Rome fait plus que s’en accommoder.
Bien entendu, l’absence de « cathares revêtus » en tant qu’exemples vivants constitue une difficulté majeure pour ceux qui voudraient vivre de nos jours en croyants cathares. Appliquer seulement les vertus mentionnées plus haut (non-violence, amour du prochain etc…) ne feraient pas d’eux des véritables cathares au sens littéral. Mais y a-t- il un « sens littéral » à attribuer au mot cathare ? N’est-ce pas avant tout l’Esprit qui doit se dégager ? La lettre enferme, l’esprit répand. Plus nombreux seront ceux qui retrouveront cette juste vision des choses, plus vite la foi cathare revivra et meilleure devrait s’en trouver l’Humanité.
Le catharisme revendiquant le rejet de tout dogme, se pose le problème - si tant est qu’il s’agisse d’un problème - de la diversité cathare.
Rappelons un des principes fondamentaux : Le dualisme
Cette vision du monde avait déjà fait l’objet d’interrogations et de débats parmi les cathares du Moyen-Age, selon qu’ils étaient dualistes absolus ou mitigés. Le dualisme absolu est sans concession : le monde est mauvais, créé par Satan, le Mal personnifié, l’homme en subit toute sa vie ses effets pervers. La solution, se dépouiller au plus vite de nos corps de boue, car tout bien qu’il pourra faire en ce bas monde n’est en vérité qu’un moindre mal.
Le dualisme mitigé n’est pas aussi catégorique. L’homme est en partie responsable du mal existant et doit contribuer par ses faits et gestes à ne choisir que le bien.
Il n’est pas dans nos intentions de traiter du dualisme, sujet extrêmement complexe, en profondeur, d'autant que, pour les croyants, cet aspect théologique n'est pas de la première importance. N'oublions pas que c'est l'église catholique qui a voulu donner de l'importance à cette notion de dualisme pour pouvoir traiter les cathares de manichéens et leur faire subir le sort de ces derniers.
Le catharisme a eu, par ailleurs, certains liens avec les différents courants gnostiques même si la plupart des historiens le contestent. Pourtant, force est de constater que la quête du Christ intérieur conduit nécessairement à la Gnose, et l’on peut difficilement ne pas voir dans le catharisme la recherche du Christ qui est en nous.
Dès lors, un courant de pensée qui revendique des liens avec des courants gnostiques peut-il se réclamer du catharisme ? Beaucoup d’historiographes le pensent, et Bertran de la Farge (3) va même plus loin puisqu’il veut retrouver, au tréfonds des religions monothéistes et même des philosophies orientales, l’Amour Universel qui a servi de base à tout enseignement spirituel.
En tout état de cause, le plus important n'est pas ce que pensent les historiographes, mais bien ce que ressentent ceux qui se réclament du catharisme.
Le catharisme tel qu'on le définit aujourd'hui peut rivaliser avec n'importe quelle religion monothéiste ou n'importe quel autre courant de pensée.
Est digne d’être cathare celui qui suit, de facto, l’exemple du Christ et en a compris le message et ce, même s’il n’a jamais entendu parler des Évangiles !
Puisqu’il semble que, de nos jours, les cathares n’aient plus à redouter la persécution, il n’y a pas lieu de persécuter même verbalement ceux qui voudraient vivre un « catharisme dissident ». Ne refaisons pas les erreurs du passé, montrons l’exemple sans dogmatisme ni prosélytisme.
C'est donc de ce constat qu'est née l'idée de la première rencontre de la diversité cathare à Roquefixade.
Cette année 2009, en ce week-end de la Pentecôte, a eu lieu la première assemblée (Ekklesia en grec) de la diversité cathare. Et malgré l'absence cruelle, pour raison de santé, de son instigateur Yves Maris, un certain nombre de participants n'ont pas craint d'afficher leur foi et leur détermination dans cet idéal de vie que sous-tend la philosophie cathare.
Dans un tel climat de confiance, chacun a pu exprimer ce qui constituait pour lui le modèle à suivre.
Il a été question des fondements de la doctrine cathare, de la vision cathare du monde actuel ainsi que des « règles » à définir et à observer pour rester sur le chemin.
Les nombreux intervenants ont fait preuve de beaucoup de conviction et d'une très grande connaissance de la question.
L'intégralité des discussions, d'une excellente tenue, sera mise en ligne sur le site d'Yves Maris et sur le site "catharisme aujourd'hui" http://www.catharisme.eu/
Mais au delà des mots, des débats et des conférences, c'est l'esprit qui a animé les personnes présentes qui mérite d'être souligné. Ces journées se sont déroulées dans une ambiance de communion et de fraternité.
Parler en tête à tête, face à face, remet tous les forums d'internet à leur vraie place ; voir dans les yeux de l'autre se refléter la même flamme apporte un bonheur incomparable ! La réunion terminée, personne n'avait envie de se séparer, et tous désiraient ardemment que cette première rencontre soit suivie de beaucoup d'autres.
L'absence de parfaits ne constitue pas un handicap insurmontable quand il s'agit de faire le premier pas vers le chemin. Assurément, on peut être cathare de nos jours, cette rencontre de Pentecôte l'a magnifiquement démontré.
Notes :
(1) Yves Maris se définit lui même comme philosophe cathare, ses deux derniers ouvrages sont : Cathares, journal d'une initiée et Résurgence cathare, le manifeste. site internet : http://www.chemins-cathares.eu/
(2) Philippe Roy est historien du catharisme, auteur notamment d'un excellent commentaire sur le consolament cathare tiré du manuscrit de Dublin 269.
(3) A lire le dernier ouvrage de Bertran de la Farge intitulé "Lumières Cathares" ainsi que l'intégralité de son discours à Roquefixade ici au format pdf.
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