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l'inquisition, des Cathares à nos jours, texte de Bertran de la Farge

Les prémices. On peut considérer que c’est Priscillien et ses disciples, qui furent les toutes premières victimes de l’intégrisme romain : ils furent excommuniés puis décapités pour hérésie en 385. Après eux il y eut hélas beaucoup d’autres victimes. Professée par Isidore de Séville, par le pape Léon Ier par l’empereur Théodoric II [450], par le pape Gélase Ier, la notion et l’usage de mise à mort des hérétiques s’affirment, se banalisent. Pendant le premier millénaire du Christianisme, l’église de Rome, du plus haut de sa hiérarchie, a fourbi son arsenal répressif, au mépris de l’enseignement du Christ. C’est le Pape Lucius II, en 1184, qui fut à l’origine de l’institutionnalisation de l’Inquisition en décidant et en promouvant, avec l’empereur Frédéric Barberousse, la pratique du châtiment corporel des hérétiques, considérés comme asociaux et coupables du crime de haute trahison !

La plupart des royaumes chrétiens utiliseront dès lors cette facilité pour sévir contre les adversaires de l’autorité tant religieuse que civile. Les dictatures d’aujourd’hui suivent allègrement cette splendide et opportune jurisprudence : légitime façon de se débarrasser des contestataires et autres opposants ! Innocent III, le Pape instigateur des Croisades contre d’autres chrétiens [Bosniaques-1203, Albigeois-1209] et donc inventeur et justificateur des Guerres de religions ultérieures, ayant ordonné, justifié et cautionné massacres [Béziers], bûchers [Minerve, Lavaur], spoliations [Trencavel, Toulouse et les Faydits ; confirmations lors du Concile de Latran], tortures et mutilations [Bram], nettoyages ethniques [les Statuts de Pamiers], a préparé, avec l’aide de Dominique de Guzman, un terrain favorable à la création officielle de l’Inquisition. Il est classique, en 2005, de récuser avec fermeté et indignation l’hypothèse selon laquelle Dominique de Guzman, « saint Dominique » et Diego de Osma auraient pu être les véritables premiers inquisiteurs. L’inquisition institutionnalisée ayant été créée en 1229 après la mort de Dominique de Guzman, ce dernier ne pouvait pas matériellement être le premier inquisteur puisque l’inquisition n’avait pas encore été créée. Oui, mais... il ne faut pas oublier :

  1.  l’officialisation de facto d’une pré-inquisition homicide par le pape Lucius III, en 1184 ;

  2.  la mission « d’évaluation » d’un Bernard de Clairvaux, dans le toulousain, qui « constate », en 1145, qu’on ne convainc les Cathares ni par le raisonnement - ils ne les comprennent pas - ni par les autorités - ils ne les reçoivent pas - ni par la persuasion - car ils sont de mauvaise foi. Ils ont prouvé qu’ils aimaient mieux mourir que se convertir. Pierre des Vaux de Cernay relate que Bernard de Clairvaux dit aussi : il semble qu’ils ne puissent être extirpés que par le glaive matériel. Et la conclusion de Bernard fut : saisissez-les et ne vous arrêtez pas, jusqu’à ce qu’ils périssent tous car ils ont prouvé qu’ils aimaient mieux mourir que se convertir ;

  3. les missions anti cathares très actives, confiées au cistercien Pierre de Castelnau par le pape Innocent III ;

  4.  la très réelle et très dense mission anti-cathare confiée simultanément par le même pape Innocent III à... Dominique de Guzman et à Diego de Osma ;

  5.  la « petite phrase » de Dominique de Guzman : là où ne vaut la bénédiction vaudra le bâton. Nous exciterons contre vous les princes et les prélats et ceux-ci, hélas, convoqueront nations et peuples et un grand nombre périra par le glaive. C’est ainsi que prévaudra la force, là où la douceur a échoué...
    «Petite phrase» à laquelle fait écho, en 1210, Guilhem de Tudela, l’un des auteurs de la Canço, la Chanson de la Croisade [contre les Albigeois] dont le commentaire suivant démontre la préméditation annoncée dans la prophétie de Dominique, un grand nombre périra par le glaive. C’est ainsi que prévaudra la force : Les barons de France et ceux du côté de Paris, les clercs et les laïcs, les princes et les marquis, les uns et les autres, sont convenus entre eux qu’en toute ville où l’ost [l’armée] se présenterait et qui ne voudrait pas se rendre avant d’être prise, ils passeraient les habitants au fil de l’épée et les tueraient tous, ensuite ils ne trouveraient personne qui tint contre eux pour la peur qu’on aurait et à cause de ce que l’on aurait vu …
    C’est pour cette raison qu’à Béziers les habitants furent massacrés ; on le tua tous, faute de pouvoir leur faire pis… Je ne crois pas que si sauvage tuerie ait été résolue ni accomplie depuis le temps des Sarrasins ». et le même « scénario » fut, tout aussi délibérément, mis en pratique par le Dauphin Louis [le futur roi Louis VIII] et Amaury de Montfort, dix ans plus tard, en 1219, à Marmande : « le Dauphin Louis vient de promettre la vie sauve aux assiégés de Marmande afin d’obtenir leur reddition : mais c’est alors que commence l’effroyable tuerie… il ne survit ni homme ni femme, jeune, vieux, aucune créature n’échappe… La ville est ensuite détruite et brûlée… On tua tous les bourgeois avec les femmes et les petits enfants, tous les habitants jusqu’au nombre de 5.000 » [La Canço]

  6.  après ce signal [la prophétie de Dominique de Guzman], après cet appel au déferlement de la violence, des homicides et de la guerre sainte, il y eut donc en 1209 le massacre prémédité de la population de Béziers [Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens] suivi de la capture par traîtrise et de l’assassinat de Trencavel, le vicomte de Béziers et de Carcassonne, au mépris des règles de la Chevalerie, puis de 1210 à 1215, la collaboration étroite, chaleureuse et amicale de Dominique de Guzman et de Simon de Montfort à Fanjeaux sur fond de bûcher de 140 Parfaites et Parfaits à Minerve, d’atrocités barbares à Bram, d’égorgements de 80 chevaliers, de viols et de bûcher de 400 Cathares à Lavaur, de nettoyages ethniques à Pamiers [les statuts de Pamiers interdisent aux femmes occitanes de rester mariées avec des chevaliers occitans et leur « conseille » d’épouser à la place des chevaliers français], de spoliations et de bannissements des chevaliers occitans, sans oublier les célébrations du baptême de Pétronille, fille de Simon de Montfort et du mariage de son fils, Amaury de Montfort par Dominique de Guzman... Dans le même temps Dominique de Guzman recevait de Simon de Montfort et de ses lieutenants, pour son monastère de Prouilhe, les donations des biens spoliés et arrachés à leurs légitimes propriétaires parmi lesquels les cent défenseurs de Bram, village voisin de Prouilhe, qui eurent les yeux crevés ! Comment oser prétendre que « Dominique ne savait pas » ?

  7. l’installation d’un port d’attache de Dominique à Toulouse, chez Pierre Seilhan dont la maison deviendra successivement celle de Dominique, celle des premiers dominicains toulousains et... celle de l’Inquisition ;

  8.  la nomination du même Pierre Seilhan par le pape Grégoire IX comme premier inquisiteur de Toulouse

  9.  l’implication constante des Frères prêcheurs [l’Ordre des Dominicains] , pendant 600 ans, dans la direction et dans le fonctionnement de l’inquisition ;

  10.  la «petite phrase» de Thomas d’Aquin, le Docteur angélique, frère dominicain [O.P.] qui trouvera tout à fait « chrétien » d’affirmer que « la Loi est affaire de raison, la raison ne saurait permettre de traiter les hérétiques avec tolérance. Certes l'église doit faire preuve de miséricorde en vue de la conversion de l'hérétique, c'est pourquoi elle ne le condamne pas tout de suite, mais, après un premier et un second avertissement, s'il se trouve que l'hérétique s'obstine encore, l'église pourvoit au salut des autres en le séparant d'elle par une sentence d'excommunication, et ultérieurement elle l'abandonne au jugement séculier POUR QU'IL SOIT RETRANCHÉ DU MONDE PAR LA MORT. En fait, le Dominicain Thomas d’Aquin fut l’un des grands théoriciens de la justification de l’Intégrisme inquisitorial.

  11.  les témoignages de l’inquisiteur Bernard Gui et, plus tard, du père dominicain Lacordaire, désignent Dominique de Guzman comme le précurseur et le créateur de l’Inquisition. à la lumière de l’actualité des années 1206 à 1221, il est clair que cette mission a bien été confiée à Dominique de Guzman par Innocent III en 1205 et qu’il en a rempli l’essentiel. Dès lors ses activités majeures tendirent à trouver et à organiser les méthodes et les moyens destinés à éliminer l’hérésie et à mettre en place, au sein de l’église romaine, une alternative au Catharisme. Le fait que Dominique de Guzman soit mort en 1221, avant la fin de sa mission, n’efface pas ses actes antérieurs et ne constitue ni un alibi ni un événement autorisant à dire qu’il n’a pas été le pionnier de l’inquisition, quelles qu’aient pu être ses qualités par ailleurs. Deux ans après la mort de Dominique de Guzman, le pape confie officiellement, en 1223, la mission de l’Inquisition aux Frères précheurs. Les frêres prêcheurs, « les dominicains », ont été fondés par Dominique et agréés par le pape Honorius III en 1217. L’Inquisition fait officiellement son entrée à Toulouse lors du Concile qui y est tenu pendant l’été de 1229 et qu’y fut créé le Studium generale, l’Université de Toulouse, originellement destinée à imposer le catholicisme et l’usage de la langue française. C’était l’époque où le pape Grégoire IX mettait au point la grande machine infernale. Il y eut plusieurs tentatives préalables, en Italie. Mais la première expérimentation inquisitoriale de Grégoire IX fut confiée, en 1227, à l’Ouest de l’Allemagne, à un maître prédicateur, Conrad de Marbourg, qui répandit une telle terreur qu’il déclencha une révolte générale à l’issue de laquelle il fut assassiné le 30 juillet 1233. Le 13 avril 1233, le Pape Grégoire IX charge officiellement les frères prêcheurs, les dominicains, de la poursuite de l’hérésie dans tout le royaume de France. Et c’est le 20 avril 1233 que le pape Grégoire IX crée officiellement l’Inquisition pontificale par la Bulle Ille humani generis qu’il adressa à la fois aux Prélats méridionaux et au Provincial des Dominicains de Toulouse, enjoignant à ce dernier de désigner deux Frères pour enquêter et juger avec pleins pouvoirs et sans appel. Pierre Seilhan, compagnon de Simon de Montfort, et le Frère Guilhem Arnau devinrent ainsi les premiers inquisiteurs du Comté de Toulouse. Ils organisèrent aussitôt les premiers bûchers, y compris en exhumant, pour les faire brûler, les cadavres des Cathares décédés de mort naturelle.


Dès lors la procédure instaurée en France par Grégoire IX sera toujours suivie, y compris en Espagne, bien qu’il soit de bon ton, à des fins dialectiques, de dénier cette continuité en séparant, par pur artifice rhétorique l’inquisition espagnole de l’Inquisition générale décidée par l’église de Rome.. L’Inquisition [Inquisitio hereticæ pravitatis] est d’abord implantée partout où souffle l’esprit cathare : à Toulouse [Pierre Seilhan], en Champagne [Robert le Bougre], en Rhénanie [Conrad de Marbourg], en Bosnie [Paul le Dalmate]. L’Inquisition ne sera abolie, à Toulouse, grâce à Voltaire, que… le 28 juin 1771 après qu’encore active, elle ait contribué à faire arracher la langue du philosophe Vanini et supplicier et étrangler Calas avec la complicité du Parlement ! Et pourtant on n’hésite pas à nous affirmer qu’elle n’avait plus aucune existence réelle à Toulouse depuis des lustres. La réalité est que l’Inquisition s’est appliquée à tous moments à l’ensemble du... monde [selon les Dominicains, l’autorité du Pape devait s’appliquer à tout individu qu’il soit ou qu’il ne soit pas chrétien.]

Le dernier flamboiement des Cathares occitans animé par Pierre et Guilhem Authier s’achèvera dans la fureur de l’Inquistion. Geoffroy d’Ablis, Bernard Gui et Jacques Fournier déclenchèrent alors la terreur entre Toulouse, Foix, Albi et Carcassonne, déplaçant les populations et, forts des directives du pape Innocent IV préconisant l’usage de la torture, suppliciant sur le bûcher, un à un, les derniers Parfaits et Croyants. Tous les compagnons de Pierre Authier furent «éliminés». Guilhem Bélibaste fut brûlé vif à Villerouge Termenès en 1321. Après lui quatre Croyants furent les derniers martyrs cathares occitans connus : Guilhemette Tournier en 1325 et Adam Baudet, Guilhem Serre et Isarn Raynaud, le 9 septembre 1329, à Carcassonne. En fait les Cathares ne disparaîtront qu’en 1478, face à L’Islam, dans les Balkans, après y avoir subi 275 ans de persécutions continuelles orthodoxes et catholiques.

Témoignages cathares [1209-1320]. Les persécutions, les tribulations et le martyre



- Registre d’Inquisition de Jacques Fournier, le pape Benoît XII : Il y a deux églises : l’une fuit et pardonne ; l’autre possède et écorche. C’est celle qui fuit et pardonne qui tient la Voie droite des Apôtres, la Voie de Vérité ; elle ne ment ni ne trompe. Quant à l’église qui possède et écorche, c’est l’église romaine. [Paroles du Parfait Pierre Authier rapportées par le Croyant Pierre Maury].

- Manuscrit de Dublin. « Cette Église [l’église chrétienne cathare] souffre les persécutions, les tribulations et le martyre pour le nom du Christ, car lui-même les souffrit dans la volonté de racheter et sauver son Église et lui montrer en actes comme en paroles que, jusqu'à la fin des siècles, elle devrait souffrir persécution, honte et malédiction, comme il le dit dans l'Évangile de saint Jean : s'ils mont persécuté, ils vous persécuteront aussi [Jean 15, 20]. Et dans l'Évangile de saint Matthieu il dit : Bienheureux ceux qui souffrent les persécutions pour la justice, car le Royaume du Ciel leur appartient. Vous serez bénis quand, pour moi, les hommes vous maudiront, vous persécuteront et diront contre vous toute la malfaisance de leurs mensonges ; donc réjouissez-vous et exultez, car votre récompense est abondante dans le Ciel ; car ainsi ils persécutèrent auparavant les prophètes [Matthieu 5,10-12] . Et il dit encore : voyez, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups [Matthieu 10.16].

« Et encore : vous serez haïs par tous les Hommes à cause de mon nom ; celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. Et quand ils vous persécuteront dans une cité, fuyez dans une autre [Matthieu 10.22-23].

« Notez à quel point toutes ces paroles du Christ contredisent la mauvaise église romaine ; car celle-ci n'est pas persécutée,ni pour le bien ni pour la justice qu'il y aurait en elle ; mais au contraire, c'est elle qui persécute et met à mort quiconque ne veut pas consentir à ses péchés et à ses forfaitures. Et elle ne fuit pas de cité en cité, mais elle a seigneurie sur les cité et les bourgs et les provinces, et elle siège majestueusement dans les pompes de ce monde, et elle est redoutée des rois, des empereurs et des autres barons. Elle n'est nullement comme les brebis parmi les loups, mais comme les loups parmi les brebis et les boucs ; et elle fait tout pour imposer son empire sur les païens, les Juifs et les Gentils ; et surtout, elle persécute et met à mort la Sainte Église du Christ, laquelle souffre tout en patience, comme le fait la brebis qui ne se défend pas du loup. C'est pour cela que l’Apôtre, saint Paul, dit : « pour Toi, chaque jour, nous sommes mis à mort ; on nous traite comme des moutons à l'abattoir [Romains 8.36].

« Mais à l'encontre de tout cela, les pasteurs de l'église romaine n'éprouvent aucune honte à dire que ce sont eux les brebis et les agneaux du Christ, et ils disent que l'Église du Christ, celle qu'ils persécutent, est l'église des loups. Mais c'est là une chose insensée, car de tout temps les loups ont poursuivi et tué les brebis, et il faudrait qu'aujourd'hui tout soit retourné à l'envers, pour que les brebis soient enragées au point de mordre, poursuivre et tuer les loups, et que les loups soient patients au point de se laisser manger par les brebis !

« Mais l'église romaine dit encore : « nous ne persécutons pas les hérétiques pour ce qu'ils font de bien, mais pour leur foi : car ils ne veulent pas croire en notre foi ». Remarquez comme il est évident ici qu'ils sont bien les héritiers de ceux qui ont tué le Christ et les apôtres ; en effet ils les ont tués et persécutés, et ils le feront jusqu'à la fin,pour la raison que les saints portent la contradiction de leurs propres péchés et leur annoncent la vérité, qu'ils ne veulent pas entendre.

«Le Christ le leur dit dans l'Évangile de saint Jean : Je vous ai montré beaucoup de bonnes œuvres de mon Père ; pour laquelle d'entre vous me lapidez-vous ? [Jean 10.32] Et ils lui répondirent : «Nous ne te lapidons pas pour tes bonnes œuvres, mais pour le blasphème [Jean 10.33]. Ainsi, il est manifeste que depuis le commencement les loups poursuivent et tuent les brebis, les mauvais persécutent les bons et les pécheurs persécutent les saints. Et pour cette raison l’Apôtre, saint Paul, dit : «Quiconque voudra vivre dans le bien en Christ souffrira la persécution »[2 Timothée 3,12]. Notez bien qu'il ne dit pas : persécutera, mais : souffrira la persécution. Et Jésus-Christ, dans l'Évangile de saint Jean, dit à sa sainte Église : L'heure vient où quiconque vous persécutera pensera servir Dieu [Jean 16.2]. Notez bien qu'il ne dit pas : « l'heure vient où vous persécuterez et tuerez des hommes pour servir Dieu ». Et le bon Jésus-Christ dit encore aux persécuteurs : Voyez, je vous enverrai des scribes et des sages, et vous en tuerez, et vous les tourmenterez et les battrez et les poursuivrez de cité en cité [Matthieu 23.34]. Et dans les Actes des Apôtres, les Apôtres déclaraient : « Il nous faut passer par bien des tribulations et des persécutions pour entrer au Royaume du Ciel » [Actes 14, 22]. Et c'est pour cela que l'Apôtre saint Jean dit : « Ô frères, ne vous étonnez pas que le monde vous haïsse » [Jean 13,13].

- Sirventes de Guilhem Figueiras, le Troubadour toulousain [en 1240], accuse avec véhémence : « Je ne m’étonne pas, Rome, si le monde est dans l’erreur, car c’est toi qui as déchaîné sur notre siècle tourments et guerres... Rome, aux hommes simples tu ronges la chair et les os et tu conduits les aveugles avec toi dans l’abîme. Tu as besoin, Rome, qu’on t’ôte la cervelle, car vous êtes bien mal coiffés, toi et Citeaux qui fîtes faire à Béziers si cruelle boucherie. Rome, il est facile de voir le mal qu’on doit dire de toi, car, par dérision tu fais de Chrétiens des martyrs. Mais en quel Livre trouves-tu, Rome, que l’on doive tuer des Chrétiens ? Rome trompeuse, la convoitise te trompe aussi, car à tes brebis tu tonds trop de laine. Tu tiens tes griffes si serrées que ce que tu parviens à agripper t’échappe difficilement...

« Puisse Dieu t’abattre et te faire déchoir, car tu règnes pour l’argent.... Tu foules aux pieds les commandements de Dieu et ta convoitise est si grande que tu ne pardonnes les pêchés que pour de l’argent. Rome, tu es en train de te charger d’un bien lourd fardeau de mal. Celui qui marche sur tes traces suit un bien mauvais guide car, en fait, tu es le diable qui l’emporte dans le feu de l’enfer. Tu veux tellement régir le monde que tu ne redoutes plus rien, ni Dieu ni ses commandements. En toi s’abritent la tromperie, la honte et le déshonneur. Rome, tu prends l’allure modeste de l’agneau, mais en fait tu as la rapacité du loup. Rome, si grande est ta forfaiture que tu en fais oublier Dieu et ses saints.

« Tu es un serpent couronné et le diable t’aime comme son ami le plus intime. Rome ! Le venin mortel coule de ton cœur. Que Celui qui est la Lumière du monde, la Vie véritable et le vrai Salut te donne une mauvaise fin car tu commets tellement de méfaits, au su de tous, que tout le monde proteste. Rome déloyale, racine de tous maux, si tu ne changes pas tes pensées, puisses-tu brûler dans les feux de l’enfer. Que le Saint Esprit qui s’incarna dans un corps humain entende mes prières et te brise le bec !»

La Canço [1215]. Simon es mort, es mort, es mort : « Il est dit, dans son épitaphe que le seigneur de Montfort est saint, qu’il est martyr, qu’il doit ressusciter, avoir sa part d’héritage et fleurir dans la merveilleuse Joie, porter la couronne [des martyrs] et siéger dans le Royaume [de Dieu]. Eh bien ! si, en tuant les hommes et en répandant le sang, en causant la perte des âmes, en consentant à des meurtres, en [prodiguant] et suivant des conseils pervers, en allumant des incendies, en anéantissant des barons et en déshonorant le Paratge, en s’emparant des terres par la violence et en soutenant l’Orgueil, en attisant le mal et en étouffant le Bien, en massacrant des femmes, en assassinant des enfants, on peut en ce monde conquérir Jésus-Christ, alors oui, effectivement, le seigneur de Montfort a le droit de porter des couronnes et de resplendir dans le Ciel. Veuille le Fils de la Vierge, qui fait triompher le droit, qui a donné sa chair et son sang, veiller sur la Raison et la Droiture et, entre les deux partis, faire resplendir le bon droit ».

La Canço [1215]. L’Antéchrist, messager de Rome. « Lorsque [Folquet] fut nommé évêque de Toulouse, il alluma par tout le pays un feu qui par nulle eau ne put jamais être éteint. Les grands et les petits, en tout dix milliers d’hommes, y perdirent la vie, et le corps et l’esprit. Par ma foi, vous croiriez, à ses faits, à ses dires, à sa façon d’agir, voir plutôt l’Antéchrist qu’un messager de Rome » !

Philippe le Bel, roi de France. Un siècle plus tard, le roi Philippe le Bel, connaisseur s’il en fut, comme purent le constater, à leur détriment, les Templiers, jugera ainsi les Inquisiteurs : « Sous l'apparence de la piété, [les Inquisiteurs] ont osé des choses impies et inhumaines. Sous prétexte de défendre la foi catholique, ils ont commis les pires des forfaits ».

L’alibi indigne du bras séculier. Aujourd’hui encore, au XXIe siècle certains s’efforcent de faire valoir que l’Inquisition fut un immense progrès juridique et qu’elle n’a jamais ni condamné à mort ni tué qui que ce soit ! L’argument avons-nous dit plue haut est : ce n’est pas l’Inquisition qui a commis ces crimes, c’est le bras séculier ! Or tout le monde savait, les Inquisiteurs en tête, e particulier les Frères dominicains, que la condamnation qui consistait à livrer l’hérétique au bras séculier, entraînait automatiquement la mise à mort, de préférence sur le bûcher ! Donc livrer un hérétique au bras séculier cela signifiait tout à fait concrètement et en toute connaissance de cause le condamner à mort et être directement responsable de sa mort. N’oublions pas l’avis sans équivoque de Thomas d’Aquin : l’église abandonne [l’hérétique] au jugement séculier POUR QU'IL SOIT RETRANCHÉ DU MONDE PAR LA MORT.

La vérité est que le fameux bras séculier ne fut que le bourreau, l’exécuteur des basses œuvres de l’Inquisition et donc de l’église romaine. Qu’une telle dialectique ait pu être développée pendant les six siècles d’existence active de l’Inquisition est déjà une monstruosité car les auteurs de cette dialectique furent les plus hauts personnages de l’église de Rome, pesonnages qui auraient dû montrer l’exemple du Pur Amour Chrétien ! N’oublions pas que l’Inquisition frut créée par le pape Grégoire IX et que l’usage de la torture fut institutionnalisé par le pape Innocent IV. Mais qu’au XXIe siècle l’argument pilatien de «c’est le bras séculier qui a tout fait», attitude complètement non-Chrétienne et barbare, puisse encore être soutenu par des évêques et des cardinaux, c’est se rendre sciemment solidaire et complice des crimes commis et des institutions qui les ont commis.

Il faut tout de même considérer que l’initiative de la remise du condamné aux exécuteurs du pouvoir temporel, revient à l’église romaine et pas au bras séculier. C’est bien l’église romaine qui a institué une dichotomie entre son inquisition et le bras séculier. Et à chaque supplice assistaient les inquisiteurs de l’église romaine. Et l’église romaine avait la totale connaissance des pratiques du bras séculier ! Le menu des possibilités d’interventions persuasives des fameux bras séculiers encore officiellement utilisés aujourd’hui, sans vergogne, comme alibis, est riche en variantes barbares et pas du tout chrétiennes : lynchages populaires [« ils furent alors enlevés malgré nous par un peuple trop zélé, jetés dans le feu et brûlés »] ; yeux crevés [Bram [Aude], Serbie] ; viols, égorgements et pendaisons [Lavaur] ou supplices collectifs du pal [toute la population de Labécède [Aude], en 1227] par l’autorité de quelque prélat casqué et bardé d’acier [Arnaud Amaury de Cîteaux, Conrad de Porto et Folquet de Toulouse], de quelques reîtres [Simon de Montfort, Humbert de Beaujeu] ; cadavres déterrés et brûlés ; tortures encouragées et institutionnalisées par le pape lui-même [Innocent IV] ; massacres collectifs et prémédités de villes entières [Béziers et Marmande] ; bûchers collectifs et expéditifs fulminés par la très sainte colère de quelques condottieres et clercs autoproclamés juges de droit divin [Orléans, Monteforte, Cologne, Troyes, Braines, Minerve, Termes, Lavaur, Cassès, Moissac, Montaimé, Montségur, Agen, Vérone] ; bûchers individuels ou collectifs institutionnels à l’issue de «jugements» de l’Inquisition ; autres mises à mort de mille manières, par tous les moyens mis à la disposition de la société temporelle par l’infaillible Sainte Inquisition imposée à la société par l’Église romaine [Grégoire IX]

Après les Cathares : 350 ans de continuité mondiale de l’Inquisition. Entre 1232 et 1478 l’Inquisition fondée par Grégoire IX s’est appliquée à éradiquer les Cathares, les Bogomiles, les Vaudois, les Templiers, les Lollards, les Hussites, les Taborites, les Franciscains spirituels, les Béguards ou Frères du Libre Esprit, les Dolcinistes [ou Pseudo-Apostoli], les Turelupins de la Confrérie de la Pauvreté, les Béguines, les Fraticelles, les Sorcières [Jeanne d’Arc], les excommuniés, les Juifs, les apostats, les homosexuels, sans oublier…les lycanthropes [loups-garous !], etc.. Elle s’est exercée dans toute l’Occitanie ainsi qu’en Aragon, en France, en Dauphiné, en Savoie, en Bourgogne, en Lorraine, en Suisse, en Lombardie, en Corse, en Sicile, en Flandre, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Hongrie, en Bohême, en Moravie, en Dalmatie, en Slavonie, en Croatie, en Bosnie, en Espagne, au Portugal puis en Amérique du Sud où elle contribuera à l’élimination des civilisations Incas et Aztèques, etc. Nous sommes loin de la piètre diversion dialectique que constitue une distinction entre Inquisition toulousaine et Inquisition espagnole ! Mais le pire est que depuis l’An 2000 on assiste à des tentatives d’effacement et d’escamotage de tout ce qui s’est passé entre l’An Mil et l’avènement de la Réforme !

Le 1er novembre 1478, c’est bien le Pape Sixte IV, Francesco della Rovere, qui étend l’Inquisition à l’ensemble de la Chrétienté et, entre autres, à l’Espagne, à la demande des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. En 1542, c’est bien le pape Paul III qui fonde la Congrégation de l’Inquisition. L’Inquisition est dès lors appliquée aux nouveaux hérétiques : les Huguenots, Luthériens, Calvinistes, Anabaptistes, etc.. En 1571, c’est le Pape Pie V qui, pour compléter la panoplie inquisitoriale, fonde la Congrégation de l’Index : une liste constamment mise à jour de ce qu’il est absolument interdit de lire accompagnée de la liste des auteurs maudits, mis à l’Index ; la dernière édition de l’Index date de… 1948 et ne sera définitivement abolie qu’en.. 1966 !

Et encore faut-il savoir que les titres figurant sur la liste de 1966 sont toujours frappés d’interdit en 2005. Sans oublier ceux qui, historiographes, laïcs ou ecclésiastiques, pétris de cette culture cœrcitive et anathématisatoire, ne peuvent pas s’empêcher, aujourd’hui encore, de reprendre la méthode à leur compte et à l’appliquer à leur entourage!

Un dernier bûcher en 1833. Dans les Balkans, en 1790, un dernier Inquisiteur [dominicain], Antun Cébalo, fut nommé en Dalmatie. En 1808, Joseph Bonaparte, roi d’Espagne, abolit l’Inquisition en Espagne. Mais après le départ de Napoléon, elle y est rétablie en 1814, le temps de procéder à l’ultime bûcher d’un ultime hérétique, en 1833, avant d’être définitivement supprimée le 15 juillet 1834.

En 1908, le pape Pie X abolit certes la Sainte Inquisition mais crée aussitôt, sur les cendres encore brûlantes de la Congrégation de l’Inquisition, la Congrégation de la Sainte Inquisition Romaine et Universelle ou Congrégation du Saint Office ou Saint Office ! En 1908… ! Le fait est que l’Inquisition initialement créée pour détruire les Chrétiens cathares aura duré officiellement plus de six siècles, à travers toute la Chrétienté, par la volonté et sous la férule de l’Église catholique romaine. Elle aura, entre-temps, traqué, persécuté, spolié, désespéré, martyrisé, emmuré, torturé, empalé, enterré vives et brûlé en public [les auto da fé] plusieurs dizaines de milliers de personnes au nom de Dieu. Il n’y a finalement qu’un siècle que cette folie abominable a cessé et il n’y a que 37 ans que l’Index n’existe plus. Quoi que…

En effet, en 1965, après le Concile Vatican II, Paul VI modifia la structure et le titre du Saint Office qui s’appelle désormais la Congrégation pour la doctrine de la foi, chargée de juger tout ce qui relève de la foi et de la morale. Sous le Pontificat de Jean-Paul II, elle fut activement présidée par le cardinal allemand Joseph Ratzinger, qui devint le Pape Benoît XVI, le... 20 avril 2005, très précisément à la date anniversaire de la création de l’Inquisition par le Pape Grégoire IX le 20 avril 1229, soit exactement sept cent soixante seize ans plus tard, succédant ainsi à Jacques Fournier l’inquisiteur qui eut « la peau » de Bélibaste avant de devenir le Pape.. Benoît XII.

L’Inquisition au XXIe siècle. L’hydre créée par le pape Grégoire IX, pour extirper les Cathares de la surface de la terre, existe toujours, sous une autre forme, avec d’autres moyens, sous un autre nom… mais toujours à la même adresse. Sa dialectique actuelle est d’affirmer avec véhémence que ce n’est pas l’Inquisition qui massacra ces dizaines de milliers d’innocents, mais… les bras séculiers auxquels ils avaient été confiés. [Par exemple, à titre de comparaison, aujourd’hui, lorsqu’une Cour de Justice condamne une personne à la peine de mort, ce ne serait pas la Cour de Justice qui serait l’initiatrice de la mort du condamné mais… le bourreau !] Il est vrai que cette attitude a été « popularisée » par Ponce Pilate !

Le 12 mai 2005, Benoît XVI a désigné l'archevêque de San Francisco, William Joseph Levada, 69 ans, à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Docteur en théologie des universités pontificales, c'est un proche de Benoît XVI. Il a commencé à travailler pour l'ancienne Inquisition en 1976. Six ans plus tard, il quitte Rome pour Los Angeles puis devient archevêque de Portland avant de gagner San Francisco en 1995. Membre de l'ex-Saint Office depuis cinq ans, Monseigneur Levada est responsable de la doctrine à la Conférence épiscopale américaine. Il est évident que pendant près de huit siècles l’église catholique, très à l’aise avec son Inquisition, a fait preuve d’une remarquable constance et d’un non moins remarquable centralisme : toutes les décisions, depuis les papes Léon Ier, Gélase Ier, Lucius II, Innocent III, Grégoire IX, Innocent IV, Benoît XII, Sixte IV et Pie V, tous profondément engagés, avec constance, dans le développement de la machine infernale inquisitoriale, jusqu’à la création et au fonctionnement de la Congrégation pour la doctrine de la foi toujours existante avec Joseph Levada en 2005, ont été et sont totalement conçues, appliquées, organisées et gérées à Rome. Mais sans doute est il hérétique et malséant de le dire et de le comprendre ainsi… Quoi qu’il en soit, le seul nom de cathares continue à susciter de violentes réactions.

A aucun moment il n’a été fait mention, ni lors de la Journée du Pardon de l’An 2000 ni dans le texte Mémoire et Réconciliation, du sort abominable et anti-chrétien réservé aux cathares. Depuis, en 2005, pas un mot, pas un regret. L’église de Rome va-t-elle continuer encore longtemps à endosser, assumer et cautionner cette atteinte mortelle à la Bonne Parole du Christ ? La tunique sans couture du Christ porte toujours la tache du sang des Cathares. Quand l’église catholique va-t-elle se décider à restituer sa pureté à la tunique du Christ ?

La suite bien triste et inquiétante de l’histoire c’est que l’Inquisition existe toujours. Et elle n’est plus l’apanage de la seule église catholique. D’autres religions suivent avec fracas, dans le sang et les fanatismes, la voie tracée pendant 776 ans par les intégristes romains qui blasphémèrent l’évangile du Christ dont le seul et unique message est : « Aimez-vous les uns les autres » !

Et il n’y a qu’une conclusion possible : celle que les Chrétiens cathares disaient chaleureusement à leurs contemporains : celui qui vit par le glaive périra par le glaive ; aussi il n’y a qu’une arme contre la Haine : l’Amour !



19/03/2012
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